Les radis

Chacun sait qu'autrefois les femm's convaincues d'adultère
Se voyaient enfoncer dans un endroit qu'il me faut taire
        Par modestie...
        Un énorme radis.

Or quand j'étais tout gosse, un jour de foire en mon village,
J'eus la douleur de voir punir d'une épouse volage
        La perfidie,
        Au moyen du radis.

La malheureuse fut traînée sur la place publique
Par le cruel cornard armé du radis symbolique,
        Ah ! sapristi,
        Mes aïeux quel radis !

Vers la pauvre martyre on vit courir les bonn's épouses
Qui, soit dit entre nous, de sa débauche étaient jalouses.
        Je n'ai pas dit :
        Jalouses du radis.

Si j'étais dans les rangs de cette avide et basse troupe,
C'est qu'à cette époqu'-là j' n'avais encor' pas vu de croupe
        Ni de radis,
        Ça m'était interdit.

Le cornard attendit que le forum fût noir de monde
Pour se mettre en devoir d'accomplir l'empal'ment immonde,
        Lors il brandit
        Le colossal radis.

La victime acceptait le châtiment avec noblesse,
Mais il faut convenir qu'elle serrait bien fort les fesses
        Qui, du radis,
        Allaient être nanties.

Le cornard mit l' radis dans cet endroit qu'il me faut taire,
Où les honnêtes gens ne laiss'nt entrer que des clystères.
        On applaudit
        Les progrès du radis.

La. pampe du légume était seule à présent visible,
La plante était allée jusqu'aux limites du possible,
        On attendit
        Les effets du radis.

Or, à l'étonnement du cornard et des gross's pécores
L'empalée enchantée criait : " Encore, encore, encore,
        Hardi hardi,
        Pousse le radis, dis ! "

Ell' dit à pleine voix : " J' n'aurais pas cru qu'un tel supplice
Pût en si peu de temps me procurer un tel délice!
        Mais les radis
        Mènent en paradis ! "

Ell' n'avait pas fini de chanter le panégyrique
Du légume en question que toutes les pécor's lubriques
        Avaient bondi
        Vers les champs de radis.

L'oeil fou, l'écume aux dents, ces furies se jetèr'nt en meute
Dans les champs de radis qui devinrent des champs d'émeute.
        Y en aura-t-y
        Pour toutes, des radis ?

Ell's firent un désastre et laissèrent loin derrière elles
Les ravages causés par les nuées de sauterelles.
        Dans le pays,
        Plus l'ombre d'un radis.

Beaucoup de maraîchers constatèrent qu'en certain nombre
Il leur manquait aussi des betterav's et des concombres
        Raflés pardi
        Comme de vils radis.

Tout le temps que dura cette manie contre nature,
Les innocents radis en vir'nt de vert's et de pas mûres,
        Pauvres radis,
        Héros de tragédie.

Lassés d'être enfoncés dans cet endroit qu'il me faut taire,
Les plus intelligents de ces légumes méditèrent.
        Ils se sont dit :
        " Cessons d'être radis ! "

Alors les maraîchers semant des radis récoltèrent
Des melons, des choux-fleurs, des artichauts, des pomm's de terre
        Et des orties,
        Mais pas un seul radis.

A partir de ce jour, la. bonne plante potagère
Devint dans le village une des denrées les plus chères :
        Plus de radis
        Pour les gagne-petit.

Certain's pécor's fûtées dir'nt sans façons : " Nous, on s'en fiche
De cette pénurie, on emploie le radis postiche
        Qui garantit
        Du manque de radis. "

La mode du radis réduisant le nombre de mères
Oui donnaient au village une postérité, le maire,
        Dans un édit
        Prohiba le radis.

Un crieur annonça : " Toute femme prise à se mettre
Dans l'endroit réservé au clystère et au thermomètre
        Même posti-
        Che un semblant de radis

Sera livrée aux mains d'une maîtresse couturière
Qui, sans aucun délai, lui faufilera le derrière
        Pour interdi-
        Re l'accès du radis. "

Cette loi draconienne eut raison de l'usage louche
D'absorber le radis par d'autres voies que par la bouche,
        Et le radis,
        Le légume maudit,

Ne fut plus désormais l'instrument de basses manoeuvres
Et n'entra plus que dans la composition des hors-d'oeuvre
        Qui, à midi,
        Aiguisent l'appétit.